Le Kiosque Média

"Notre métier n’est ni de faire plaisir, ni de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie." - Albert Londres

1.12.2006

À l'ére du grand blabla

Deux commentaires incisifs, malheureusement toujours d'actualité, de Benoît Aubin : l'un sur les « spécialistes, l'autre sur les porte-parole.
( Chroniques de mauvaise humeur, Boréal 1996)

À l'ére du grand blabla ( août 1994)

Extraits
« Pendant que les journalistes défendaient leur mission de rapporter objectivement les grands débats de la société, ces grands débats eux-mêmes faisaient l'objet d'un rapt et d'un détournement perpétrés par une poignée de spécialistes, en plein jour et à la barbe de tous. Ils ont kidnappé le débat public.

Au Québec, ils sont à peine une centaine, que l'on voit et entend à peu près tous les jours. Le discours public, c'est eux : les premiers ministres, les chefs de l'opposition et quelques seconds violons des parlements. Les leaders syndicaux, les porte-parole patronaux, les chambres de commeerce, quelques associations professionnelles. Les groupes de pression ethniques, culturels et linguistiques. Quelques gros hommes d'affaires, gros maires, gros commentateurs : une poignée d'analystes. Ajoutez-y les diverses tables de concertation, quelques bonnes oeuvres, quelques athlètes, artistes, penseurs, vedettes, « faiseux » ou animateurs de tribunes téléphoniques, et vous avez l'essentiel de ce qui se « passe » dans les médias, jour après jour.

Idéalement, en démocratie, les citoyens s'informent, discutent, débattent, se font une idée, puis votent : on change de chef, on déclare la guerre, on creuse un aqueduc.
Dans la société câblée, cependant, la place publique a été remplacée par les médias, les débats par la chicane, et les citoyens par des spécialistes de la chicane dans les médias.
Aujourd'hui, le spectateur magasine plutôt entre quelques grilles d'analyse prêtes à porter qui lui sont présentées quotidiennement
. »

Les intervenants dans le discours (avril 1993)
Extraits
« J'ai identifié un péril beaucoup plus grave, plus efficace et plus redoutable pour la santé, mentale, des démocraties occidentales que les simples intervenants. Il s'agit des porte-parole.
L'intervenant concentre son attention sur le dossier à la table de concertation ; il est un mal localisé, passager, bénin ; la société, l'entreprise, peuvent développer des anticorps contre lui, le circonscrire, l'ensevelir, le neutraliser.

Le porte-parole, lui, a accès directement à l'attention, à la pensée, à l'imagination de centaines de milliers de personnes,
Le porte-parole se nourrit de tout ce qui bouge, de la mauvaise blague sexiste de John Crosbie au mauvais calcul électoraliste de Jacques Parizeau, du drme humain de Davis Inlet aux croix gammées sur une polyvalente de Laval, de la réforme de l'assurance-maladie à celle de la loi 101, de la vente de condoms dans les écoles à la vente d'électricité au Vermont, pour établir son point-de-vue ou neutraliser celui de son adversaire.

Que fait le porte-parole ? Demandez à Gérald Larose, Ghislain Dufour, Fatima Houda-Pépin (Š.)
Le porte-parole accapare le micro pour inoculer au citoyen son opinion sur ce qui se passe avant que le citoyen ait eu le temps, ou l'envie, de se faire une idée.
Ce qu'ils font les porte-parole ? Ils interviennent, dans le discours. Ils font tellement de bruit que notre société ne s'entend pas parler.
 
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