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"Notre métier n’est ni de faire plaisir, ni de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie." - Albert Londres

10.20.2005

Pierre Beaudet et l'Alternative aux faits

Pierre Beaudet a souvent des relations tendues avec les faits. Dans Alternatives (juin 2005), il écrit : « Quelques mois plus tard (en 1955), l'Égypte nationaliste boutait dehors les envahisseurs britanniques, français et israéliens qui voulaient empêcher la nationalisation du canal de Suez. » Immondices bovines !

Beaudet, qui, rappelons-le, forme grâce à l'argent de l'ACDI (Agence canadienne de développement international – donc le nôtre) des journalistes à Alternatives avant de les envoyer dans les pays du tiers-monde, se plante ici royalement. Rappelons-lui quelques faits qu'il pourrait trouver dans un dictionnaire quelconque.

Le 26 juillet 1956, Gamal Abd el-Nasser, le dictateur de l'Égypte, annonce publiquement son intention de nationaliser la compagnie franco-britannique du Canal de Suez qui contrôlait le canal du même nom. Il justifie sa décision par le besoin de ressources financières pour développer l'Égypte. Il interdit ensuite aux navires israéliens d'utiliser le canal. La nationalisation du canal de Suez soulève l'enthousiasme des foules musulmanes. Les Français et les Britanniques, qui perçoivent les droits de péage, ripostent aussitôt à ce camouflet. Les Israéliens attaquent l'Égypte. Les parachutistes franco-britanniques sautent, le 5 novembre, sur Port-Saïd sous le prétexte de protéger le canal. Eisenhower, le président américain en tournée électorale, réagit très vivement et obtient la convocation du Conseil de sécurité de l'ONU, qui met au point un cessez-le-feu. La crise se termine le 31 octobre. Si quelqu'un « boutait dehors les envahisseurs britanniques, français et israéliens », c'était le président américain.

Pour en savoir plus

Égypte : Nationalisation du canal de Suez
http://histgeo.free.fr/troisieme/gf/suez.html


Mais Beaudet aimerait mieux se castrer avec un couvercle de conserve rouillé plutôt que d'admettre que l'administration américaine a jamais fait quelque chose de bien depuis la naissance des États-Unis.

Les idéologues ont cette fâcheuse tendance à croire que le monde ordinaire est trop fragile et pas assez intelligent pour faire la part des choses. On ne peut donc tout dire à ces pauvres demeurés. On avait un jour demandé au philosophe de gauche Jean-Paul Sartre de dénoncer les goulags staliniens. Il avait refusé en disant : « Il ne faut pas désespérer Billancourt » (banlieue ouvrière qui votait régulièrement à gauche). Ayons une pensée émue pour tous ces penseurs qui, comme Beaudet et Sartre, doivent constamment s'étirer les synapses pour déterminer ce qui pourrait nous désespérer.

Mais il reste un doute lancinant sur les propos échevelés de Beaudet à propos de Suez. Ils sont peut-être attribuables à ce qu'on appelle en littérature la « licence poétique » et qui permet en gros d'écrire n'importe quoi sans s'encombrer des faits. En effet, quelques lignes plus loin dans son texte, on peut lire cette admirable envolée marquée au coin du plus pur lyrisme : « Quelques années plus tard (…) Guevara (Cuba), Lumumba (Congo), Ben Barka (Maroc) et tant d'autres militants assassinés aux premières lignes des combats contre l'impérialisme pouvaient célébrer leur victoire posthume, quelque part dans les doux nuages du ciel de la libération ! »

Rappelons que ces phrases poétiques de la revue Alternatives sont financées – en partie – par l’ACDI.


Dans le même texte – qu'est-ce qu'on est gâté – Beaudet écrit :

« Il y a quarante ans à Bandoeng en Indonésie, plusieurs pays (…) se réunissaient (…) pour réclamer la fin du colonialisme (...) »

Beaudet est soit nul en histoire soit poche en mathématiques. La Conférence de Bandoeng a lieu du 18 au 24 avril 1955. Elle réunit la plupart des États pauvres d'Asie et d'Afrique, en tout, 29 pays qui se définissent comme appartenant au tiers monde. C'est l'origine du terme. À Bandoeng se retrouvent la Chine de Mao, l'Inde de Nehru, l'Égypte de Nasser, le Cambodge de Sihanouk… et un seul pays industrialisé, le Japon.

La Yougoslavie du maréchal Tito, État communiste rival de l'URSS, figure parmi les vedettes de la conférence.

L'Afrique est très mal représentée, car la plus grande partie de ce continent est encore colonisée. Seuls l'Égypte, l'Éthiopie et le Libéria sont pour l'heure indépendants.

À Bandoeng, le Yougoslave Tito, l'Égyptien Nasser et l'Indien Nehru revendiquent leur «non-alignement», à égale distance des deux superpuissances, les États-Unis et l'URSS.

Ces leaders prônent le rassemblement des pays pauvres, la lutte contre le colonialisme et la ségrégation raciale, la lutte contre Israël ainsi que l'établissement de relations commerciales équitables entre les pays développés et les pays pauvres.

Leurs revendications rencontrent un écho enthousiaste dans l'élite intellectuelle des pays occidentaux.


http://membres.lycos.fr/guerrefroide/bandoeng.html
 
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