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"Notre métier n’est ni de faire plaisir, ni de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie." - Albert Londres

9.01.2006

États-Uniens? Américains? Un autre débat de société pour les haut-parleurs du Québec? On espère que non...

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Durant les 12 derniers mois, selon le moteur de recherche Eureka, les
journalistes ont remplacé 219 fois le mot "Américains" par le terme "États-Uniens" (des enfants états-uniens, clichés états-uniens, grands journaux états-uniens, etc.) et 279 fois le mot “Américain” par ‘États-Unien” (courtier états-unien, l'ambassadeur états-unien, le président états-unien, etc.). En comparaison, entre 1980 et l’an 1990, "États-Uniens" n’a été recensé que deux fois, et 77 fois entre 1990 et 2000.

Les journali
stes ont donc découvert quelque chose de neuf, ou ils ont un sérieux problème de loisirs. Violaine Ducharme tranche la question dans cette analyse d’une mode inutile.

À propos
des États-Uniens

L’Amérique est grande et comporte plusieurs pays, mais ce sont les habitants des États-Unis qui ont hérité du gentilé Américain. Même si les Canadiens sont aussi américains que leurs voisins du Sud ou les Mexicains. L’usage s’est répandu et le temps a fait le reste : un Américain est forcément un habitant des Etats-Unis, pourquoi en douter?

Question bien inoffensive mais qui, après les attaques du 11 septembre et
les frasques de George W. Bush, en a chatouillé certains qui trouvaient qu’il y avait là matière à légère diffamation. « Je suis américain, mais pas un citoyen des Etats-Unis! » Donc, en ces périodes d’antiaméricanisme inspiré, il est de bon ton de se distinguer de la masse yankee, question d’éviter d’être involontairement solidarisés avec les gestes de nos voisins. Par son absence d’ambiguïté, le terme « états-uniens » s’est rapidement imposé dans les discussions de la gauche offensée. Le Monde diplomatique l’emploie régulièrement en ses pages et moults médias l’apprécient pour ses aspects pratiques de sémantique et de vocabulaire.

Linguistiquement parlant, le Petit Robert relève la première occurrence du mot états-unien en 1955, où il prenait la forme zéifiée (étazunien), surtout utilisé dans des contextes où une rigoureuse précision s’avère essentielle. Et dans son Lexique des difficultés du français dans les médias, Paul Roux atteste que « les dictionnaires acceptent les adjectifs états-unien et américain, sans faire de nuances entre l'un et l'autre » et qu’on peut ainsi les considérer comme des synonymes.

Idéologiquement parlant, on ne s’en sort toutefois pas si facilement. À ce qu’on sache, les Etats-Unis constitue également le nom officiel du Mexique (Estados Unidos Mexicanos). Devrait-on alors étendre l’usage d’états-unien à eux itou? Et à en croire le débat enflammé que les Wikipédiens ont tenu sur le terme à adopter dans leurs écrits encyclopédiques (sur papier, seize pages de débat écrit petit), l’emploi du gentilé est peut-être sans équivoque, mais chargé de rage antiaméricaine. Et chaque opinion en valant bien une autre, l’argumentation aboutit rapidement dans un cul-de-sac tant la question est subjective.

« S’agit-il d’un débat linguistique ou d’une protestation surgie d’une frustration plus large? », se demande Laurent Laplante dans un texte portant sur la confusion Amérique/Etats-Unis.

Tentons une réponse. En français, l’Amérique est un continent, pas un pays; un Américain, un habitant des Etats-Unis d’Amérique. Point. Rien de linguistique là-dedans, ainsi l’a déterminé l’usage.

Pendant ce temps, les habitants des Etats-Unis s’en fichent pas mal. Ils vont attendre la traduction en anglais d’États-Uniens…

Violaine Ducharme
 
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