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"Notre métier n’est ni de faire plaisir, ni de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie." - Albert Londres

8.23.2007

Un penseur de l'UQAM et le silence des moutons (québécois)


Pour ce penseur de l’UQAM, les millions de Québécois qui votent vont mourir en silence. Selon lui, il faudrait suivre le modèle d’un philosophe suisse qui n’a pas travaillé avant l’âge de 30 ans, a abandonné tous ses enfants et détestait tout le monde.

Il y avait des mois qu’on n’avait pas entendu parler de Francis Dupuis-Déri (photo ci-contre), prof de science po à l’UQAM et quadragénaire anarchiste. Les Québécois n’en pouvaient plus d'attendre. Francis non plus. C’est donc avec soulagement qu’on a pu lire son texte Jean-Jacques Rousseau serait abstentionniste (Le Devoir, Édition du samedi 09 et du dimanche 10 juin 2007).

Extrait : La relecture de Jean-Jacques Rousseau peut aider à comprendre ce phénomène, car ce philosophe propose une des critiques les plus acerbes du processus électoral, mis à part, bien sûr, celles des auteurs anarchistes, qu'il précède et annonce.

La relecture de l’œuvre de Francis Dupuis-Déri peut aider à comprendre un de ses vieux dadas : voter est inutile. Il écrivait il y a une quinzaine d’années :

Les élections constituent un des éléments principaux de la mystification démocratique. On fait croire à la population qu’elle détient le pouvoir par le
processus électoral. C’est un mensonge. Finalement vous ne voterez plus, car vous serez mort. Mort en silence comme vous avez vécu… (Voir, 11 février 1993)

Francis D
upuis-Déri est loin d’être le premier à prétendre que voter est inutile. La figure de l'abstentionniste apparaît pour la première fois sous la plume du journaliste anarchiste Octave Mirbeau qui, dans Le Figaro du 14 juillet 1889, recommande à l'électeur de partir « tranquillement pêcher à la ligne » plutôt que d'aller exercer un droit illusoire.

Pour bien montrer que voter est inutile, Francis Dupuis-Déri appelle à l’aide Jean-Jacques Rousseau :

Dans son Projet de constitution pour la Corse, Rousseau rappelle ceci : « Quand l'autorité suprême est confiée à des députés, le Gouvernement [...] devient aristocratique. »
Des trois types de régimes purs, soit la monarchie (un seul gouverne), l'aristocratie (une minorité gouverne) et la démocratie (la majorité ou la totalité gouverne), l'élection relève bel et bien de l'aristocratie puisqu'elle offre la gouverne à une minorité.

L’incandescent Francis, par manque d'espace sans doute, oublie quelques détails qui nous sont fournis par Paul Johnson dans un livre puissamment jouissif, Le Grand Mensonge des Intellectuels (voir plus bas). Ainsi, à la page 35 :

Dans le projet original de Constitution rédigé par Rousseau pour la Corse, il est stipulé que le citoyen fait don de sa personne, de ses biens, de sa volonté, de tous ses pouvoirs, et de tous ceux qui dépendent de lui à la Nation corse. Il avait d’ailleurs pr
évu que le peuple n’aurait accès aux villes que muni d’un permis spécial !

Au sujet de l’État, Rousseau est on ne peut plus clair :

« À n’être rien sauf par lui, ils ne seront rien sauf pour lui. »

Il voyait, dans son système politique, et dans le nouvel État auquel il donnerait naissance, les remèdes universels à tous les maux de l’humanité. La politique était toute-puissante ! C’est ainsi que Rousseau ouvrit la voie aux grandes désillusions et aux folies du XX siècle.

Ajoutons quelques broutilles du programme de Rousseau, expliqué par les historiens Will et Ariel Durant
:

Les lo
is veilleront à engager de toutes manières le peuple à rester dans les campagnes plutôt que de s’agglomérer dans les villes. L’agriculture forme le caractère de l’individu et la santé nationale : les affaires, le commerce, les finances ouvrent la porte à toutes espèces de querelles et l’État devait en décourager le développement. Les voyages s’effectueront à pied ou à dos de bête. Le mariage précoce et les familles nombreuses auront leurs récompenses; quant aux hommes de plus de quarante ans restés célibataires, il conviendrait de leur retirer leurs droits de citoyens. (..)En cas de nécessité, la population sera enrégimentée pour cultiver les terres appartenant à l’État. Le gouvernement contrôlera toute l’instruction et toute la moralité publique. (p. 384-385, Rousseau et la révolution, Will et Ariel Durant, Éditions Rencontre 1969)

Rousseau a passé sa vie à se plaindre de tout le monde au nom de son amour pour l’humanité. Il n’a pas travaillé, sauf six mois comme laquais, avant la trentaine. Une dame généreuse, Mme de Warens, véritable « mère adoptive » l’a entretenu jusqu’à ce qu’il soit capable de vivre de ses écrits.

Lorsque Rousseau devint riche et elle pauvre, il lui envoya quelque secours mais pas beaucoup : « Bien moins que je n’aurais dû, bien moins que je n’aurais fait, si je n’eusse été parfaitement sûr qu’elle n’en profiterait pas d’un sol. » (Johnson, p. 29) C’est très bien écrit, mais le généreux homme voulait dire qu’elle se ferait voler par ses amies et donc que ce serait une perte d’argent de l’aider…

Plus tard, quand elle lui demanda encore du secours, il ne répondit plus à ses lettres.

Il a eu cinq enfants avec Thérèse Levasseur. Il les a tous abandonnés à l’hôpital des Enfants-Trouvés. Rousseau ne nota pas la date de naissance de ses cinq enfants, ne chercha pas davantage à savoir ce qu’ils étaient devenus. Il avait autre chose à faire que les éleve
r, comme par exemple écrire sur l’éducation des enfants. C’est le thème sous-jacent d’ Émile et du Contrat Social.

Francis Dupuis-Déri nous dit que « Les héritiers de Rousseau ne veulent pas voter ».

Tant mieux!


LE GRAND MENSONGE DES INTELLECTUELS
Vices privés et vertus publiques

Paul Johnson
Traduit de l’anglais par Anick Sinet

ROBER
T LAFFONT, 1993

L’intérêt de lire Johnson réside dans le fait qu’il déculotte, outre Rousseau, quelques autres intellos laïques (Marx, Brecht etc.) dont les idées n’avaient qu’un rapport lointain avec ce qu’ils faisaient dans leur vie privée. Comme le résume Johnson :

Ces intellos laïques qui se prononcent sur tout et rien et qui sont devenus un trait essentiel du monde moderne sont un phénomène qui survint en Europe avec l
e déclin du pouvoir de l’Église au XVIIIe siècle. L’intellectuel laïque, à l’exemple du prêtre, s’empressa d’expliquer au peuple comment mener ses affaires. Il proclama pour commencer sa dévotion particulière aux intérêts de l’humanité et son devoir évangélique de les favoriser grâce à son enseignement. Pour la première fois dans l’histoire humaine, avec une confiance, une audace grandissantes, des hommes se prétendirent capables de diagnostiquer les maux de la société, de les guérir à l’aide de leur propre intelligence et, mieux encore, d’améliorer le comportement des êtres humains. Contrairement à leurs prédécesseurs, ils n’étaient plus les serviteurs et les interprètes des dieux, mais leurs substituts.

Les nouveaux intellectuels laïques – c’est un de leurs traits marquants – enquêtèrent avec délectation sur la religion et ses protagonistes puis les soumirent à une critique minutieuse : les religions s’étaient-elles révélées bénéfiques ou nuisibles pour l’humanité ? Ces papes, ces pasteurs, dans quelle mesure avaient-ils vécu selon leurs préceptes de pureté, de vérité, de charité et de bonté ? Et les verdicts tombèrent, sévères, sur les Églises et le clergé.

À présent, après deux siècles de déclin de la religion au cours desquels le rôle des intellectuels n’a cessé de grandir, jusqu’à modeler nos attitudes et nos institutions, il est temps d’enquêter sur leur conduite, à la fois publique et privée. Je me suis attaché surtout au crédit moral et au discernement qu’il convient d’accorder aux intellectuels qui prétendirent enseigner aux hommes comment se comporter. Quelle fut leur vie personnelle ? Se sont-ils conduits avec loyauté en famille, avec leurs amis, leurs collaborateurs ? Étaient-ils honnêtes dans leur vie sexuelle, leurs affaires d’argent ? Disaient-ils, écrivaient-ils la vérité ? Dans quelle mesure leurs propres systèmes avaient-ils résisté à l’épreuve du temps et de la pratique ?

http://query.nytimes.com/gst/fullpage.html?res=950DE3D81439F
932A15751C0A96F948260

http://sandefur.typepad.com/freespace/2005/04/intellectuals.html

http://www.salon.com/media/1998/05/28media.html


Du même auteur :

Une Histoire du monde moderne

Paul Johnson
Laffont
(
A History of the Modern World from 1917 to the 1980s, Paul Johnson, 817 pp., Weidenfeld & Nicolson, 1983)

Écrit par un journaliste anglais ayant rédigé bon nombre d'ouvrages historiques, ce livre d'histoire du XXe siècle s'intéresse aux faits autant qu'aux hommes et aux idées qui ont poussé ces derniers à agir. S'il s'attarde volontiers sur les figures historiques du siècle passé, il n'en néglige pas pour autant les grands courants intellectuels plus larges ainsi que les petites anecdotes qui ont fait l'histoire, des années 20 jusqu'au monde contemporain. Faisant la part belle aux personnages et aux événements, il les replace toujours dans les diverses idéologies de l'époque, et peint un portrait du monde moderne plein de nuances mais néanmoins lisible pour le profane. (Bruno Peres)

http://en.wikipedia.org/wiki/Paul_Johnson_(journalist)

http://www.monde-diplomatique.fr/1986/01/ORY/

http://www.conservativeforum.org/authquot.asp?ID=855

http://www.harpercollins.com/authors/4966/Paul_M_Johnson/index.aspx

 
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