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10.30.2007

Victor Lévy-Beaulieu a droit à ses propres opinions, pas à ses propres faits


Le 24 septembre dernier Victor-Lévy Beaulieu publiait sur le site de L’Aut’Journal un article dans lequel il montait une attaque en règle contre la religion en général. Il a droit à son opinion, là n’est pas le problème. Celui-ci se trouve plutôt dans la façon de tirer de l’Histoire des exemples remodelés pour appuyer son point de vue. Le passage mérite d’être cité en entier pour bien comprendre : « Il fallut qu’arrive Philippe le Bel au XIIIe siècle pour qu’ait lieu pour la première fois la séparation de l’Église et de l’État : le pape Boniface VIII, qui prétendait régner sur le temporel et l’intemporel, et qui avait fait de l’Église catholique la plus grande puissance financière de l’Occident, perdit sa guerre contre Philippe le Bel : le trésor papal fut réquisitionné, ce qui permit à l’Occident d’instaurer une société civile qui prit de nouveau confiance en l’avenir qui n’est qu’une métaphore du progrès. »

Le rapport Église/État est un problème central de l’histoire politique et sociale de l’Occident médiéval. Toutefois, mentionnons que dans la tradition chrétienne, le pouvoir religieux et le pouvoir politique sont séparés. La société est une, mais encadrée par deux pouvoirs. Le problème est complexe et il faut éviter d’y coller des définitions modernes telles que la « séparation de l’Église et de l’État ». De plus, la « réquisition » du trésor papal semble une version tordue de ce qui s’est passé à Anagni en Italie, ville natale du pape Boniface VIII. Une petite troupe d’environ deux à trois cents hommes aux ordres de Guillaume de Nogaret fit irruption dans les appartements du pape et commença à piller les lieux mais fut obligé de fuir après deux jours devant la révolte de la population de la ville. On voit donc mal comment Philippe le Bel aurait pu à cette occasion instaurer une société civile avec tous les termes évoqués plus haut.

En ce qui concerne la suite de l’article où il est question de Robespierre, on y lit ceci à son sujet : « On ne sait plus aujourd’hui que, si la Révolution française a été un échec, ce fut en grande partie la faute de Robespierre qui, oubliant les objectifs laïques de la Révolution, voulut imposer aux Français par la terreur le culte de l’Être suprême, ce qui revenait à mettre la religion au-dessus de tout. » S’il est vrai que Robespierre tenta brièvement d’imposer ce culte pendant les quelques mois précédant sa mort, il faut aussi reconnaître que ce culte se traduisait simplement par des réunions périodiques des citoyens pour promouvoir l’amitié, la fraternité et le genre humain. Accuser Robespierre d’être l’une des principales raisons de « l’échec » de la Révolution française (encore faudrait-il définir comment une révolution est un échec ou un succès) à cause de l’imposition d’un culte aussi éphémère relève du sophisme. Il est navrant de constater que des auteurs utilisent des éléments historiques sortis de leur contexte ou modifiés pour appuyer leur position, dans ce cas-ci pour donner à la religion la responsabilité de tous les maux.

François Gauthier
 
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